vendredi 5 février 2016

Gérard Chinrei Pilet - Qu’est-ce qui bouge ?

"Etudier la Voie, c'est s'étudier soi-même
S'étudier soi-même, c'est s'oublier soi-même
S'oublier soi-même, c'est être en unité avec toutes les existences"
Maître Dôgen



Qu’est-ce qui bouge ?
" Une bannière claque au vent.

- Qu’est-ce qui bouge ? demande le maître.

- Le drapeau, répond un disciple.

- Non, dit le maître.

- Le vent, rétorque un autre ;

- Non plus. C’est votre esprit qui bouge, conclut le maître ."

Ce mondo, bien connu des pratiquants du Zen, contient de riches et précieux enseignements.

Le premier, c’est que, quels que soient les évènements qui se déroulent dans notre vie et l’environnement dans lequel ils se produisent, c’est toujours à travers les formes de conscience qu’ils suscitent en nous qu’ils sont vécus. Ce que d’ordinaire nous appelons le réel, ce ne sont jamais, comme on le croit, les évènements et circonstances en tant que tels mais les formes de conscience qu’ils provoquent en nous. Toute la réalité que nous considérons comme extérieure à nous se situe en fait à l’intérieur de nous-même sous forme de modifications de nos états de conscience. Personne ne peut prétendre appréhender la réalité en dehors de ce schéma-là.

Le second, c’est que les hommes se réclament de la réalité en oubliant le plus souvent qu’il s’agit de leur réalité, c’est-à-dire de la manière dont ils la voient à travers leurs désirs, leurs peurs, leurs attentes, leurs refus, leurs espoirs, leur optimisme, leur pessimisme, leur karma etc...N’ayant le plus souvent pas conscience de la présence en eux de ces multiples facteurs qui colorent leur vision du réel, ils croient en toute bonne foi qu’ils voient les choses telles qu’elles sont et sont enclins à vouloir l’imposer aux autres de multiples façons, parfois même par la force ou la violence. Si l’on veut s’approcher, ne serait-ce qu’un peu, d’une vision plus juste du réel, il faut tourner son regard vers l’intérieur afin de mettre en lumière les contenus subjectifs (émotionnels, idéologiques et autres) que nous projetons inconsciemment sur lui.

Ce que nous enseigne aussi ce mondo, c’est que ce ne sont jamais l’extérieur ou les autres qui sont responsables de nos colères, de nos agacements et de nos dépits mais nous-mêmes en ce sens que c’est toujours la présence en nous de tel ou tel contenu psychique qui fait que tel ou tel comportement ou parole d’autrui  nous bouge Ÿ, comme on dit dans le langage courant. Si ce contenu n’était pas présent, le même comportement d’autrui n’aurait pas induit une réaction de colère, de dépit ou de haine ni, éventuellement, provoqué tel ou tel choix ou décision. En témoigne le fait qu’un même comportement d’autrui laisse de marbre telle personne et fait sortir telle autre de ses gonds. Les contenus psychiques à l’origine de telle ou telle réaction face à tel ou tel comportement d’autrui n’étant pas toujours conscientisés, plus grande encore est la nécessité de tourner son regard vers l’intérieur pour les mettre en lumière. Notre sérénité en dépend ainsi que la justesse de notre adaptation à la réalité.

J’aime beaucoup cette réponse du Dalaï-lama au journaliste qui lui demandait pourquoi, en dépit de tout ce qu’ils ont commis au Tibet, il n’éprouve ni haine ni colère envers les communistes chinois : " ils nous ont tout pris, je ne vais pas en plus les laisser prendre la paix de mon esprit ".

Si les évènements de notre vie ne nous appartiennent guère ni non plus les rencontres que nous y faisons, être emporté par eux ou demeurer stable intérieurement nous appartient entièrement.

Gérard Chinrei Pilet (Février 2016)