"Le yoga, qui retrouve du succès dans le Cher, « n’est pas une discipline de la performance »"
Séance de yoga avec l'association Yoga Santé 18, à Bourges. Photos Pierrick Delobelle © Pierrick DELOBELLE
Formateur à l’école française de yoga de Paris, fondateur de l’École française de yoga de Bordeaux, trésorier de la Fédération nationale des enseignants de yoga, rédacteur en chef des Carnets de yoga… Jean-Pierre Laffez est un maillon important de l’histoire du yoga en France. À 80 ans, il pratique encore une heure chaque matin.
Assiste-t-on à une mode du yoga ?
Je ne crois pas que ce soit une mode. Le yoga était diffusé en France et en Europe avant la guerre de 14. Avant 1900, il existait déjà. Même du temps de Voltaire, au XVIIIe siècle, il y avait des traductions de textes en sanscrit où on parlait de yoga. Mais le Hatha yoga, le plus diffusé en Occident, celui où on travaille les postures, se développe dans l’Entre-deux-guerres.
Il existe différentes lignées de yoga. Roger Clerc, par exemple, a codifié le yoga de l’énergie pour s’adapter aux corps et aux besoins des Occidentaux.
Jean-Pierre Laffez, 80 ans, pionnier du yoga en France, formateur à l'Ecole française de yoga de Paris et de Bordeaux
Quelle est son histoire française ?
Au départ, les livres de quelqu’un comme Constant Kerneiz (1880-1960) contribuent à sa diffusion. Dans les années 1950, son élève Lucien Ferrer (1901-1964) ouvre l’Académie occidentale de yoga. Il rassemble autour de lui un groupe de 400 personnes, dont Roger Clerc (1908-1998). Parallèlement dans les années 1960-1965, en Belgique, il existe aussi un travail de transmission du yoga autour d’André Van Lysebeth (1919-2004).
En France, c’est Roger Clerc qui, avec d’autres personnes, va créer l’Union nationale de yoga (UNY), la Fédération nationale des enseignants de yoga (FNEY) et l’École française de yoga (EFY), qui deviendra celle de la rue Aubriot, à Paris. Avant les années 1970, le yoga était peu connu et peu pratiqué. Il s’agissait de quelques occidentaux formés par des maîtres indiens. La discipline commence à se diffuser grâce à des articles dans des journaux féminins. Dans les années 1970, le nombre de pratiquants augmente.
Le yoga est une discipline d'harmonie du corps et de l’esprit. Il est à la portée de tout le monde, parce que ce n’est pas une discipline de la performance.
"Le yoga est à la portée de tout le monde, c'est une discipline d'harmonie du corps et de l'esprit."
Jean-Pierre Laffez
Roger Clerc défendait l’idée d’un yoga occidentalisé. Pourquoi ?
Roger Clerc a en effet codifié le yoga de l’énergie, pour s’adapter aux corps et aux besoins des Occidentaux. L’idée est que chacun trouve la posture qui ne lui fera pas mal. On trouve des enchaînements qui permettent de bouger, tout en dopant la connexion neuromusculaire.
Le second point, c’est la respiration : assouplir le thorax, détendre le muscle du diaphragme, afin de mettre en place une respiration profonde. Dans le yoga, l’art de la respiration, c’est utiliser la respiration consciente pour aller vers un état de détente profond.
Le troisième point, c’est le mental. Le yoga développe la concentration, l’attention, pour arriver à la méditation qui est simplement un état de présence.
Il existe différentes lignées de yoga ?
Oui. Il y a le Hatha yoga, qui est, de façon schématique, une harmonie du corps, du souffle et une maîtrise de l’esprit. Le Karma yoga est un yoga de l’action. Le Jnana yoga est un yoga de la philosophie et du raisonnement. Le Bhakti yoga est plus proche de l’aspect religieux de la vie. Enfin, le Raja yoga est l’ensemble des quatre autres, où on va plus travailler le mental.
"Aujourd’hui, il y a une nécessité de yoga, en réponse à la dureté de la vie sociale"
Jean-Pierre Laffez
Comment expliquer le succès du yoga ?
Dans les années 70, les gens avaient envie de faire de la gym plus douce. Aujourd’hui, il y a une nécessité de yoga, en réponse à la dureté de la vie sociale. Il y a une demande de méditation, qui est depuis toujours enseignée par le yoga. Il élimine les effets du stress dans la vie de tous les jours. C’est une discipline noble, où on apprivoise la respiration.
Aujourd’hui, il y a même des cours de yoga donnés dans les entreprises. Est-ce que cela ne va pas servir à exploiter toujours plus les salariés, sur leur lieu de travail ? C’est une question.
"Le yoga développe une compassion et un certain amour des autres. Mais on n’est pas des saints !"
Jean-Pierre Laffez
Comment avez-vous rencontré le yoga ?
J’avais 17-18 ans, c’était en 1957-1958. Par hasard. J’habitais en province, au Mans. Je suis tombé sur un livre de Kerneiz. Lors de mon service militaire à Dakar, au Sénégal, j’ai rencontré un maître - si je peux employer ce mot - Babacar Khane, qui exerce toujours. Puis Roger Clerc a été mon formateur, mon instructeur. J’ai rencontré des tas de gens, comme le père Déchanet, un père bénédictin qui a travaillé pour faire accepter le yoga dans les milieux chrétiens.
Qu’est-ce que le yoga a changé pour vous ?
Je ne saurais pas dire. J’avais déjà dans l’idée de faire des études de kiné. Je pense que cela a transformé mon attitude avec les patients. Le yoga développe une compassion et un certain amour des autres. Mais on n’est pas des saints !
Le yoga a le vent en poupe dans le Cher
En France, 2 à 2,5 millions de personnes pratiquent le yoga. Un engouement qui se vérifie dans le Cher, où les élèves – une grande majorité de femmes – viennent soulager le stress et ses conséquences : douleurs cervicales, mal au dos… Sans recherche de performance.
« Après un creux dans les années 1980, le besoin de yoga est revenu, remarque Marie-France Levoux, 76 ans, professeur de yoga à Bourges depuis quarante-deux ans. Les gens viennent parce qu’ils ont mal au dos, mal partout ou parce qu’ils ont fait un burn-out. La cause première de tout cela, c’est le stress, mais ils ne s’en rendent pas compte. Le mot stress n’est jamais prononcé, juste ses conséquences. »
Propos recueillis par
Marie-Claire Raymond
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